Évaluation des soft skills : Quand les critères comportementaux rendent l’entretien annuel illicite
L’évaluation professionnelle est devenue un rituel RH incontournable. Objectifs, compétences, perspectives d’évolution : tout est passé au crible. Mais jusqu’où l’employeur peut-il aller dans l’appréciation du salarié ? Peut-il analyser son « honnêteté », son « optimisme » ou encore son « bon sens » ?
La Cour de cassation vient d’apporter une réponse nette dans un arrêt du 15 octobre 2025 : non, ces critères comportementaux vagues et teintés de morale n’ont pas leur place dans un entretien d’évaluation. Et leur usage peut suffire à faire déclarer l’intégralité de la procédure illicite .
🔍 Contexte de l’affaire
Une entreprise de l’agroalimentaire avait mis en place un entretien de développement individuel (EDI) comprenant deux volets :
1. Une évaluation technique et opérationnelle
2. Une évaluation comportementale, structurée autour de notions telles que :
• « optimisme »
• « honnêteté »
• « bon sens »
• « se montrer concret, actif et efficace en faisant preuve de bon sens »
Ces critères, utilisés dans les rubriques « engagement » ou « avec simplicité », étaient destinés à apprécier le comportement du salarié au travail.
Le syndicat CFDT et un salarié contestent ce dispositif, estimant qu’il porte une appréciation subjective et moralisatrice portant sur la personne et non sur les compétences professionnelles.
⚖️ La décision : l’entretien est… illicite
La Cour confirme l’analyse de la cour d’appel : le dispositif est illicite dans sa totalité, et l’employeur ne peut plus l’utiliser.
Elle fonde sa décision sur trois constats essentiels :
1️⃣ Les critères comportementaux n’étaient pas accessoires
L’entreprise soutenait que seules quelques rubriques étaient en cause. Mauvaise stratégie : les juges rappellent que cette partie « ne peut être considérée comme secondaire » et influence réellement l’évaluation globale.
2️⃣ Une abondance de critères… mais aucune transparence
La fiche d’entretien comportait une multitude de critères et sous-critères comportementaux, sans indication de leur poids réel dans l’évaluation.
Conséquence : impossibilité pour le salarié de comprendre sur quelle base il est évalué, ce qui contrevient à l’exigence de transparence et d’objectivité.
3️⃣ Des notions trop vagues, trop moralisatrices, trop personnelles
C’est le cœur du problème. Pour la Cour, des critères tels que : • optimisme • honnêteté • bon sens
sont trop imprécis, relèvent de jugements moraux et débordent sur la sphère personnelle du salarié .
Ces notions ne permettent pas de mesurer objectivement une aptitude professionnelle. Elles ouvrent la porte à l’arbitraire, à l’interprétation et aux biais d’évaluation.
📌 Rappel juridique
L’employeur peut évaluer ses salariés, mais uniquement au moyen :
✔️ de critères précis, objectifs et pertinents ✔️ en lien direct avec l’activité professionnelle ✔️ ne portant pas sur des qualités morales ou personnelles
(Articles L.1121-1, L.1222-2 et L.1222-3 du Code du travail)
💡 Ce qu’il faut retenir pour vos entretiens annuels
Critères licites1668_3cf0f6-be> |
Critères illicites1668_f8eb94-bb> |
|
Respect des délais 1668_8a4af2-10> |
Optimisme 1668_cc7b21-b5> |
|
Maîtrise d’un logiciel métier 1668_b65c06-1d> |
Honnêteté 1668_0e4ac9-95> |
|
Capacité à animer une réunion 1668_2b1d60-1f> |
Bon sens 1668_c99997-5c> |
|
Management d’équipe 1668_bd35f6-52> |
Simplicité, humilité, loyauté (si non opérationnalisés) 1668_abb168-a2> |
Un critère n’est licite que s’il est mesurable. Dès qu’il touche à la morale, aux convictions ou à des qualités intrinsèques, il devient dangereux juridiquement.
🚨 Risques pour l’employeur
Une grille d’évaluation non conforme peut entraîner :
❌ l’interdiction de l’utiliser
❌ la nullité des sanctions ou licenciements fondés sur ces évaluations
❌ des indemnités en réparation du préjudice
❌ un risque de contentieux collectif avec un syndicat
C’est précisément ce qui s’est produit dans cette affaire.
🎯 Conclusion
L’évaluation ne doit pas juger la personne, mais son travail.
En glissant de « compétences » vers des notions telles que l’honnêteté ou le bon sens, l’employeur franchit une ligne rouge juridique.
Cet arrêt est un message clair pour les directions RH : Vous n’évaluez par une personne, vous évaluez sa contribution professionnelle, rien d’autre.

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