Licenciement d’une salariée enceinte : quand les risques psychosociaux rendent impossible le maintien du contrat
La Cour de cassation a rendu, le 27 mai 2025, un arrêt particulièrement marquant en matière de licenciement des salariées enceintes et de prévention des risques psychosociaux. (Cass. soc., 27 mai 2025, n° 23-23.549)
Cet arrêt vient préciser dans quelles conditions un employeur peut, à titre exceptionnel, rompre le contrat d’une salariée protégée par la grossesse lorsqu’il se trouve dans l’impossibilité de maintenir ce contrat.
L’affaire opposait une ingénieure employée depuis 2005 par la société Nalco France à son employeur, à la suite d’un licenciement prononcé alors qu’elle venait d’annoncer sa grossesse.
Le cadre légal : une protection absolue… sauf exceptions très limitées
L’article L.1225-4 du Code du travail prévoit une protection renforcée des salariées enceintes :
Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée en état de grossesse médicalement constaté, pendant son congé maternité ni pendant les dix semaines suivant son retour, sauf en cas :
1️⃣ de faute grave, non liée à la grossesse ; 2️⃣ ou d’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement.
C’est sur cette seconde exception que repose toute la décision de la Cour.
Les faits : un retour de congé et un climat de travail dégradé
Après plusieurs congés maternité et parentaux, Mme S. reprend son poste d’ingénieure en juillet 2016. Rapidement, la situation se détériore : neuf membres de son équipe saisissent le CHSCT, évoquant un risque de dégradation des conditions de travail et des tensions relationnelles importantes depuis son retour.
Le rapport du CHSCT, déposé en novembre 2016, conclut à l’existence de risques psychosociaux graves en cas de maintien de la salariée à son poste, tant pour elle-même que pour ses collègues. L’inspecteur du travail confirme cette analyse et recommande à l’employeur de proposer à la salariée une affectation alternative afin de préserver la santé de tous.
L’employeur propose donc un poste équivalent dans un autre établissement. Mme S. refuse cette mutation, estimant injustifié son déplacement. Quelques jours plus tard, elle informe l’employeur de sa grossesse. Le licenciement est néanmoins notifié le 24 avril 2017 pour impossibilité de maintenir le contrat de travail.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation valide partiellement le raisonnement de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Sur la validité du licenciement
La Haute juridiction confirme que le licenciement n’est pas nul, car l’impossibilité de maintenir le contrat était étrangère à la grossesse.
Elle relève que : • l’employeur était tenu par son obligation de sécurité, • il avait proposé un poste équivalent respectant les compétences et le niveau hiérarchique de la salariée, • le refus de ce poste par la salariée laissait l’employeur sans solution de maintien, • et le risque psychosocial était avéré pour l’ensemble de l’équipe.
Ainsi, l’employeur ne pouvait pas maintenir la salariée à son poste sans violer son obligation de prévention des risques.
En d’autres termes, la Cour admet qu’un risque psychosocial collectif peut constituer un motif légitime d’impossibilité de maintien du contrat, même en période de protection liée à la grossesse, dès lors qu’il n’existe aucun lien avec l’état de grossesse.
Mais cassation partielle sur l’obligation de sécurité
En revanche, la Cour casse partiellement l’arrêt d’appel sur un autre point : la cour d’appel avait écarté la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, en considérant que l’employeur n’avait pas été alerté des difficultés antérieures (notamment en 2012).
Or, la salariée produisait un courrier de l’employeur daté du 23 juillet 2012, en réponse à des alertes des délégués du personnel mentionnant des risques de harcèlement moral. En ignorant cet élément, la cour d’appel a dénaturé les faits.
De plus, elle s’est contredite : d’un côté, elle reconnaissait que les reprises successives avaient dégradé la santé de la salariée ; de l’autre, elle niait tout lien entre son état de santé et les conditions de travail.
Cette contradiction justifie la cassation partielle, la Cour renvoyant l’affaire devant une autre formation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Ce qu’il faut retenir
1️⃣ La protection de la salariée enceinte reste la règle absolue
Le licenciement d’une salariée enceinte demeure strictement encadré. L’employeur ne peut y recourir que s’il démontre : • soit une faute grave non liée à la grossesse ; • soit une impossibilité objective de maintenir le contrat, étrangère à la grossesse.
2️⃣ L’obligation de sécurité peut justifier une rupture exceptionnelle
Cet arrêt illustre une conciliation délicate entre deux principes : • la protection de la maternité ; • et la protection de la santé mentale des salariés.
La Cour reconnaît ici que la prévention des risques psychosociaux peut justifier un licenciement, à condition que : • les risques soient objectivement établis (rapport du CHSCT, avis de l’inspection du travail, etc.) ; • et que l’employeur ait recherché une solution alternative (mutation, réorganisation…).
3️⃣ Les risques psychosociaux doivent être documentés et traités en amont
L’affaire souligne l’importance de tracer les alertes internes, qu’elles émanent du CHSCT, des représentants du personnel ou des salariés. La documentation de ces démarches est essentielle pour démontrer la réalité des risques et la bonne foi de l’employeur.
4️⃣ L’obligation de sécurité reste une responsabilité autonome
Même si le licenciement est validé, l’employeur peut engager sa responsabilité civile s’il n’a pas prévenu suffisamment tôt les risques ou agi à la suite d’alertes anciennes. La vigilance doit donc être constante et documentée.
En résumé
Cet arrêt du 27 mai 2025 consacre une approche pragmatique du droit du travail :
– la protection de la maternité ne saurait empêcher l’employeur d’assurer la sécurité psychologique du collectif de travail ;
– mais cette exception demeure strictement encadrée et suppose une démonstration rigoureuse des risques et des mesures prises.
Un équilibre fragile, qui rappelle que la gestion des situations sensibles (retours de congé maternité, conflits d’équipe, risques psychosociaux) exige anticipation, dialogue et traçabilité.
Une salariée enceinte peut être licenciée si et seulement si le maintien du contrat met en danger la santé du collectif et que le motif est totalement étranger à sa grossesse. L’employeur doit alors démontrer avoir rempli son obligation de sécurité et proposé des solutions alternatives réalistes.
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